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L’intelligence artificielle sonne-t-elle le glas du capitalisme ?

L’intelligence artificielle dans le mode de production capitaliste : entre accélération technologique et crise des rapports sociaux

Karl Marx et Friedrich Engels écrivaient dans le Manifeste du parti communiste :

« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner sans cesser les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est à dire l’ensemble des rapports sociaux. Ce bouleversement continu de la production, cet ébranlement constant de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. »

Une nouvelle étape dans l’accumulation capitaliste

Depuis la première révolution industrielle, l’objectif du capital est resté constant : transformer chaque technique avancée en moyen de réduire les coûts et d’augmenter la plus-value. À chaque cycle, les instruments de production se perfectionnent, et avec eux les hiérarchies sociales se recomposent. L’introduction de l’intelligence artificielle dans les chaînes de valeur marque une rupture d’échelle. Contrairement aux machines-outils ou aux ordinateurs personnels, elle ne se contente pas d’augmenter les capacités humaines : elle tend à les rendre superflus.

Des professions entières sont menacées : traducteurs, journalistes, graphistes, analystes financiers, développeurs, cadres intermédiaires. Autant de postes jusque-là apparaissant comme hautement qualifiés – donc protégés – qui se retrouvent désormais précarisés parce que les algorithmes accomplissent ces tâches plus vite, à moindre coût, et parfois avec une précision supérieure. La logique capitaliste, en quête de profit immédiat, ne se satisfait pas d’utiliser l’IA pour renforcer l’humain : elle l’utilise surtout pour le remplacer.

Obsolescence des compétences et désajustement social

Cette évolution engendre une contradiction aiguë. Dans la théorie marxiste, les forces productives (machines, techniques, savoir-faire) doivent s’articuler avec les rapports de production, c’est-à-dire les rapports sociaux entre classes. Lorsque les premières se développent de manière explosive mais que les secondes restent figées, un désajustement apparaît. Or nous sommes en plein dans ce paradoxe.

Les forces productives connaissent une croissance vertigineuse grâce à l’IA. La capacité de générer du texte, de la musique, de la programmation ou des diagnostics médicaux à une vitesse inédite bouleverse le champ productif. Mais les rapports sociaux, eux, restent marqués par la propriété privée des moyens de production et par la transformation du travail humain en marchandise. Résultat : là où l’IA pourrait alléger le fardeau humain, donner du temps libre, favoriser l’épanouissement collectif, elle sert avant tout à accroître l’extraction de plus-value, à intensifier la concurrence, et à aggraver la précarité.

L’ouvrier spécialisé de l’atelier du XIXe siècle avait vu sa force physique concurrencée par la machine. L’ingénieur, le rédacteur, le médecin d’aujourd’hui voit ses compétences cognitives concurrencées par un logiciel. La logique de mise au rebut se répète, mais à une échelle beaucoup plus inquiétante, car elle touche au cœur des activités symboliques qui fondaient la distinction entre l’humain et la machine.

La promesse d’émancipation retournée en son contraire

L’IA transporte une promesse d’abondance : produire plus, mieux et à moindre coût. Mais dans le cadre d’un mode de production capitaliste, cette promesse se retourne contre ceux qui devraient en être les bénéficiaires. L’exemple de la productivité agricole au XXe siècle illustre bien ce processus : en théorie, elle aurait pu libérer les paysans d’un travail harcelant, tout en garantissant une alimentation abondante ; en réalité, elle a conduit à des concentrations foncières massives, une standardisation alimentaire et une mécanisation qui a jeté des millions de travailleurs sur le marché de l’emploi précaire. L’IA risque d’en être la version ultime, appliquée à l’ensemble des secteurs.

Il y a là une ironie tragique : plus les forces productives atteignent un niveau proche de l’autonomie, plus l’humain devrait être dispensé du travail contraint. Mais puisque ce travail reste l’unique moyen par lequel l’individu accède au revenu, son érosion débouche sur l’insécurité, et non sur la liberté. Le capitalisme transforme donc le progrès en menace.

La révolution est-elle devenue inéluctable ?

La question se pose alors avec acuité : une telle contradiction entre forces productives et rapports de production peut-elle être régulée par de simples ajustements réformistes, ou annonce-t-elle une rupture révolutionnaire ? Marx et Engels soulignaient que l’histoire des sociétés jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. Lorsque les techniques avancées deviennent trop puissantes pour les rapports sociaux qui les encadrent, des bouleversements radicaux deviennent inévitables.

Aujourd’hui, l’IA illustre ce point de tension extrême. D’un côté, elle inaugure un potentiel d’organisation sociale où les besoins matériels pourraient être satisfaits avec une dépense de travail humain minimale. De l’autre, sa mise en œuvre capitaliste détruit les emplois, élargit les inégalités et intensifie la concurrence mondiale. Nous sommes devant une situation où, comme tant de fois à travers l’histoire, les vieilles structures apparaissent incapables de contenir les nouvelles forces qu’elles ont engendrées.

Peut-on imaginer un capitalisme « régulé », intégrant l’IA sans sacrifier des millions de vies sur l’autel de la productivité ? Ou bien l’ampleur même des bouleversements rend-elle inévitable une transformation profonde du système, une révolution qui redistribue l’usage des machines au service du collectif plutôt qu’au profit d’une minorité ? Si la bourgeoisie ne peut cesser de bouleverser les instruments de production, elle risque bien un jour de produire sa propre mise au rebut, en créant les conditions objectives d’un dépassement de l’ordre existant.

Vers une bifurcation historique

L’intelligence artificielle n’est pas une simple innovation de plus dans le cours de l’accumulation capitaliste. Elle porte en elle une promesse et une menace : promesse d’abondance et d’autonomie humaine, menace de chômage massif et de désagrégation sociale. Ce double visage reflète la contradiction centrale énoncée dans le Manifeste du parti communiste : la bourgeoisie crée les conditions de son triomphe, mais aussi celles de sa propre disparition.

L’histoire n’offre pas de prédictions assurées. Mais elle enseigne une constante : lorsque les forces productives atteignent un point où les rapports de production deviennent un carcan, la révolution n’est plus une abstraction idéologique mais une nécessité historique. L’irruption de l’IA dans le mode de production capitaliste pourrait bien marquer l’approche de ce point de rupture, où l’humanité aura à choisir entre la soumission à une insécurité perpétuelle ou l’invention d’un ordre social nouveau.

 

Pour la révolution qui vient

L’Antéchrist numérique

 






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12 Commentaires

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  • #3562085

    Cette évolution engendre une contradiction aiguë. [...] Or nous sommes en plein dans ce paradoxe.



    Euh, une contradiction n’est pas un paradoxe. Ou plutôt une contradiction n’est pas acceptable et le demeure ainsi, là où ses éléments raisonnés à l’aune d’autres relativités ou compensations, font apparaître un paradoxe tolérable. Par certains côtés les réfutations sophistiques, ou la dialectique comme le souligne A.S. sur certains sujets, permettent d’avaler les paradoxes.
    Nous ne sommes donc pas encore au stade du paradoxe ultime validé comme tel par l’ensemble, et si les contradictions semblent évoluer de concert, c’est qu’il n’y a pas eu encore d’effondrement majeurs et que la multitude semble prendre l’I.A. comme un jouet.

     

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  • Mouais…je demande à voir ! Le système tout entier repose sur l’extorsion de plus-value arrachée aux travailleurs…Si les gens se retrouvent massivement au chômage, qui achètera les objets de consommation produits par les robots ?
    je crois plutôt que le système usera de l’IA comme d’une arme de chantage propre à rogner les acquis sociaux du prolétariat…

     

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  • Très intéressant sujet. OUi le Capital est en crise. Mais déjà une question :

    "réduire les coûts et d’augmenter la plus-value"

    Si je vends un truc, un service qui coûte 5000 boules à produire (disons qu’il y faut 10 salariés dans des bureaux), je peux faire une belle marge dessus (en ne payant mes salariés pour toute la richesse produite).

    mais si le même truc peut-être produit pour 3 boules au pakistan ou par l’IA ou, mieux, par IA et au Pakistan... okay j’ai viré mes salariés mais... mes concurrent et moi, on va faire quelle profit sur une somme aussi faible ? Il nous faut en vendre des millions de trucs....

    Réduire les coûts, n’augmente pas la plus-value. La plus-value est en baisse tendancielle et le Capital investit ne rapporte plus rien... taux négatifs... 2008. etc.

     

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  • #3562102

    L’IA, qui provoque l’atrophie de l’hippocampe, est en train de créer une génération d’impotents intellectuels qui vont développer des maladies dégénératives à la quarantaine.

     

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  • #3562109

    L’irruption de l’IA ne se fait pas que dans le mode de production capitaliste. Les administrations seront aussi concernées et, si ceux qui dirigent l’Etat étaient intelligents, il y verraient une occasion d’alléger la bureaucratie (il suffit de ne pas remplacer des fonctionnaires qui partent en retraite)
    Chaque innovation importante crée un bouleversement dans la société. Celui-ci finit par se résorber d’autant mieux qu’on laisse de la liberté pour que les personnes trouvent des voies de résilience. Le problème essentiel est la paupérisation : dans une société riche, de nouveaux besoins apparaissent que de nouvelles entreprises vont satisfaire. Mais la caste parasitaire française a réussi à gripper tous les ressorts économiques...

     

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  • #3562116

    On peut aussi imaginer que le conditionnement des masses grâce à ces technologies a dépassé le stade historique de la révolte. Pourquoi reproduiraient ils sans cesse les mêmes erreurs ?

     

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    • #3562137

      Reproduire les mêmes erreurs.. ? Non, il y a eu la conférence de Rio en 1992 (je crois ou 93..) et ils ont bien identifié le problème...Nous ! Abétissement, avilissement, asservissement (pour bientôt avec la monaie électro) puis dépopulation (piquouze et guerre...ondes aussi). Comme l’avait dit la vieille chouette attali, le NOM et la guerre. Tout marche comme prévu. Ha, si j’avais accès au bouton rouge...ou a un téléphone galactique pour appelé les Dieux et leurs dire de venir (re)faire le ménage. Un météor peut être qui ferait envier la mort aux vivant.. Compter sur mes semblables ? Comment dire..je trouve que l’expréssion "brebis égarées" était bien trouvée. Comment ça je suis péssimiste ! Allez, faut rigoler..

       
  • Si on lit "La lutte des classes aux XXIème siècle" d’Emmanuel Todd, celui-ci parle d’une lutte des classe à ’envers, du haut vers le bas.

    Alors, en ajoutant l’IA, cet outil serait de nature à renforcer cette lutte plutôt qu’à s’y substituer dans la mesure où le mouvement est déjà en route.

    Quand à voir disparaitre le capitalisme, je demande à voir...

     

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  • #3562204

    Ca ressemble à la fin du capitalisme prophétisée par Marx, mais Marx la voyait advenir par la chute infinie du taux de profit du fait de la surproduction. Mais le surstock est intégré au modèle : on en a trop, on le détruit.

    C’est pareil pour la force de travail. Esclaves pour travailler au champ et non libres de se déplacer, on la transforme en salariés pour les concentrer à côté des usines. Quand l’IA fait le boulot, on la supprime par stérilisation vaccinale.

     

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  • #3562305

    Historiquement, il n’y a jamais vraiment eu de redistribution des gains de productivité, ou au mieux seulement à la marge. Comme je l’ai lu une fois sur un forum : "le communisme ne peut pas marcher, car les gens aiment posséder des trucs".

    Le fait est que l’IA est un "nouvel" outil (c’est plutôt sa disponibilité généralisée qui est nouvelle), qui change la donne profondément dans de nombreux secteurs du marché du travail. On peut passer des jours à épiloguer sur l’aspect moral de la chose, si c’est bien ou mal, etc. mais c’est une pure perte de temps et d’énergie : car que ça nous plaise ou non, que ces changements soient bons ou mauvais, le fait est qu’ils sont là et font maintenant partie du quotidien, point barre.

    On attribue la disparition des dinosaures à une météorite. Que ce cataclysme ait été bon ou mauvais était hors de propos : il était là et la seule question d’importance était celle de comment survivre. Seules les espèces ayant su s’adapter on survécu...tout le reste a rapidement disparu.

    L’arrivée de l’IA dans la vie quotidienne et sur le marché du travail, c’est exactement la même chose. Et comme je le disais plus haut, c’est avant tout un outil  : ici l’adaptation est donc de savoir l’utiliser. La bonne nouvelle est que c’est dans l’ensemble à la portée du plus grand nombre. Voilà une bien meilleure utilisation à faire de ses ressources mentales et de temps dans le contexte actuel. Car, je le répète : qu’on l’aime ou non, ce changement est là, et il est là pour rester.

    N’oublions pas aussi que la disparition des dinosaures a ouvert la voie à la domination des mammifères : le lot de destruction de tout cataclysme - qu’il s’agisse de la fameuse météorite ou de l’IA - s’accompagne donc aussi d’un lot d’opportunités pour ceux qui savent s’adapter. A eux donc de les identifier et de s’adapter pour les saisir.

     

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    • #3562366

      L’allocation exponentielle des ressources d’énergie à l’IA doit quelque peu modérer votre propos.

      Par ailleurs, l’IA est en partie la conséquence de la vision probabiliste et statisticienne du monde qui a contaminé l’ensemble des secteurs de la société, et dont on reviendra forcément un jour. Une fois passée la fascination pour quelques résultats mathématiques récents, certes importants, mais dont les limites ne sont pas comprises.

      Le tout numérique, c’est comme le tout béton : un dogme néfaste imposé par des gens qui n’y comprennent rien. Il faudra bien sûr quelques catastrophes pour sortir de cette monomanie.