Alors que le Premier ministre israélien, M. Benjamin Netanyahou [1], dont les blindés tirent depuis plusieurs jours et avec assiduité sur les positions syriennes situées en contrebas du Golan [2], s’emploie à prévenir voire à neutraliser d’éventuels grognements dans les chancelleries, cela dans l’éventualité probable d’une nouvelle offensive terrestre contre la bande de Gaza, il semble utile, si ce n’est opportun, de revenir sur une impressionnante série noire de morts violentes et de disparitions qui ont frappé ces derniers mois la communauté du Renseignement… certes sans liens apparents, mais qui ne laisse cependant pas d’interpeller !
Morts en série et recomposition géopolitique
Reprenant ici le recensement particulièrement judicieux de Sami Kleib [3], une remarquable hécatombe semble en effet frapper actuellement les milieux du renseignement arabe… mais pas seulement. Il serait sans doute particulièrement vain de vouloir relier toutes ces limogeages et tous ces morts entre eux sauf à succomber à une poussée de conspirationnisme aigu. Reste qu’une question à entrées multiple se pose immédiatement, avec le notable mérite de baliser le champ d’enquête : à qui ces hommes faisaient-ils de l’ombre ? À quoi faisaient-ils obstacles indépendamment des vengeances et des règlements de comptes ? En tout cas il semble bien inutile d’invoquer le divin hasard ou la pure coïncidence, ce pourquoi nous suivons Sami Kleib, lorsqu’il voit dans ces morts brutales non la marque d’un destin néfaste « mais les signes d’une lutte secrète préludant à l’instauration de nouvelles lignes de forces au Proche-Orient ». Évoquons donc les plus remarquables de ces morts non-médiatisées…
Arabie Saoudite : Bandar ben Sultan
Le 6 novembre en Arabie Saoudite, dans le contexte d’une série d’attentats non-documentée par la presse, le prince Mohammed ben Nayef était nommé ministre de l’Intérieur à l’occasion d’un vaste mouvement de personnels dans les Services du renseignement du royaume… Services en principe dirigés par le prince Bandar ben Sultan [4]. Un personnage clef de l’influence anglo-saxonne en Arabie Saoudite, étrangement disparu de la scène saoudienne depuis l’été dernier et dont on dit avec insistance qu’il aurait été victime d’un attentat en juillet 2012. Assassinat resté secret s’il a eu lieu, mais qui, en contrepartie, a aussitôt fait l’objet d’une entreprise de déni. Ainsi à Beyrouth le site Middle East Strategic Perspectives qualifait l’annonce d’un éventuel décès de « non-événement » : un « assassinat médiatique de faible intensité ». Certes. N’en demeure pas moins que ben Sultan n’a pas réapparu depuis !
Pourtant, le 29 juillet le Réseau Voltaire annonce depuis Damas qu’une « source officieuse » aurait confirmé la mort du chef du Renseignement saoudien, l’un des maitres marionnettistes de la guerre terroriste et djihadiste qui ravage la Syrie. Il se serait agi de représailles exercées par les services de sécurité syriens après l’attentat de Damas [5] du 18 juillet, lequel a décapité une partie du commandement militaire syrien… attentat qui aurait été organisé par le prince Bandar avec l’aide de la CIA !
Le 31 juillet, le site israélien DebkaFiles confirme la mort de Bandar interprétant en outre le silence officiel des saoudiens comme le signe d’un grand désarroi (« Saudi silence on intelligence chief Bandar’s fate denotes panic »). En en imputant aussi l’initiative à l’Iran.
En tout état de cause, l’événement, s’il a vraiment eu lieu, peut s’interpréter comme un retour de flamme du drame syrien… crise qui a vraisemblablement atteint et contaminé un royaume saoudien qui ne cesse de jouer inconsidérément avec le feu : les régions de l’Arabie Saoudite où prédominent les chiites se montrent de plus en plus instables… de même le voisin yéménite qui, en dépit de récente conversion à la démocratie unipolaire, est devenu un champ clos où s’affrontent durement al-qaïdistes, sunnites et chiites.
Liban : le Général Wissam al-Hassan
La liquidation explosive le 19 oct. 2012 de Wissam al-Hassan à Beyrouth à son arrivée de Paris participent du même cas de figure. Chef du renseignement des Forces de sécurité intérieures (FSI), il assurait l’interface avec ses homologues d’Arabie Saoudite, français, anglais et américains. Al-Hassan était évidemment « directement impliqué non seulement dans l’incendie qui consume la Syrie, mais aussi dans les conflits internationaux et régionaux ». Selon le Réseau Voltaire (28 octobre), relayant des hypothèses et rumeurs qui ont aussitôt couru à Beyrouth d’abord, puis sur la Toile, la mort de Wissam el-Hassan n’est cependant pas définitivement acquise, « aucune analyse médico-légale n’ayant pu établir que la victime se trouvait dans sa voiture. Le général serait rentré le jour même de Paris où il faisait son rapport à son officier traitant, le général Benoît Puga. Or la police de l’air et des frontières n’a aucune trace de son arrivée au Liban. »
Accordons sur ce dernier point plus longuement la parole au sulfureux mais bien informé Thierry Meyssan [6] :
« La France a fait circuler une rumeur selon laquelle le président Bachar el-Assad aurait commandité au Hezbollah l’assassinat de cinq personnalités libanaises : le chef des Forces de sécurité intérieure, le directeur des forces du ministère de l’Intérieur, le grand mufti, le patriarche maronite et l’ancien Premier ministre Fouad Siniora. Puis Paris a sacrifié Michel Samah qui lui servait d’agent de liaison avec les services syriens, tombé en disgrâce à Damas et donc devenu inutile. Le brillant et versatile politicien est ainsi tombé dans un piège tendu par le général Wissam el-Hassan, chef des FSI et agent de liaison avec les salafistes. Paris a alors sacrifié le général Wissam el-Hassan, qui était devenu dangereux tant il savait de choses…
Au cœur de cette machination, on trouve le général Benoît Puga. Cet ancien commandant des opérations spéciales et directeur du Renseignement militaire français a été chef de l’état-major particulier du président Nicolas Sarkozy, poste où i a été maintenu par le président François Hollande. Affichant un soutien inconditionnel à la colonie juive de Palestine et entretenant des relations privilégiées avec les néoconservateurs américains, il a relancé la politique coloniale de la France en Côte-d’Ivoire, en Libye et en Syrie. Il était l’agent traitant à la fois de Michel Samaha et de Wissam el-Hassan… À paris, en violation des institutions démocratiques, il gouverne seul la politique proche-orientale de la France, bien que cette attribution ne corresponde pas à ses fonctions officielles. »
Nous laissons bien entendu à M. Meyssan la pleine responsabilité de son propos et de ses écrits, mais il va de soi que ses thèses ne peuvent être écartées d’un revers de main, car vraies ou fausses, elles apportent un éclairage indispensable sur les jeux complexes dont le Levant est aujourd’hui le théâtre. Ajoutons pour ceux qui auraient oublié de savoir lire entre les lignes, que Voltaire sous-entend que l’assassinat d’el-Hassan aurait pu être décidé et mis en musique depuis Paris. Si cette mort à la mise en scène grandiose est bien intervenue ? Une grosse poignées de morts et une rue du quartier chrétien d’Achrafieh totalement dévastée, ce n’est pas en effet une mince affaire ! Notons ici, que dans le cas de Bandar ben Sultan, sa mort n’a pas été officialisée et n’est jamais entrée dans le périmètre des écrans radars médiatiques ; dans le cas de Wissam al-Hassan, l’homme a lui également disparu, quant à sa mort elle n’est pas non plus prouvée… ni plus ni moins en vérité que celle de feu Ben Laden !
Autres cas
Pour clore ce chapitre, notons que l’assassinat d’al-Hassan a été précédé le 19 juillet du décès impromptu aux États-Unis à Cleveland dans l’Ohio du chef du Renseignement et vice-président égyptien Omar Suleiman… Entré à l’hôpital « en bonne santé pour des examens médicaux » [Euronews], tandis qu’Hakan Fidan, directeur adjoint du Renseignement turc était assassiné à son tour et à domicile dans sa maison d’Istanbul… Même jour et peut-être même heure, un ancien patron des services israéliens était apparemment abattu à Vienne, en Autriche, au lendemain du jour où en Bulgarie, à Bourgas, périssaient sept touristes israéliens dans l’explosion de leur autocar… Plus banalement, Mohammed al-Zahabi, ancien chef du Renseignement jordanien, était simultanément arrêté pour corruption. Quelques heures après la mort de Suleiman, Hichem Bakhtiar, chef du Renseignements syrien, décédait des suites de des blessures reçues la veille dans l’attentat qui avait visé à Damas l’immeuble de la Sécurité nationale. Le feuilleton « Les tyrans sont parmi nous » ne semble pas prêt de trouver son épilogue.
Léon Camus