Le Monde du 25/03/95 : Les états utilisents souvent l’archéologie à leur profits
Au grand dam des chercheurs, l’étude des civilisations anciennes est récupérée pour conforter les idéologies ou les nationalismes
L’affaire récente de la prétendue découverte du tombeau d’Alexandre par une archéologue grecque dans l’oasis de Siwa, en Egypte, a remis en lumière une dérive aussi vieille que l’archéologie. De l’URSS de Staline à Israël aujourd’hui, en passant par le patchwork culturel et religieux de l’Inde, les exemples abondent pour montrer que les autorités politiques ne résistent pas toujours à la tentation d’utiliser, voire de manipuler, les découvertes archéologiques afin de conforter des visées nationalistes, justifier une hégémonie culturelle ou politique. Ce détournement s’effectue le plus souvent contre la volonté des chercheurs, qui doivent déployer ingéniosité et diplomatie pour s’en protéger, composer avec les autorités des pays dans lesquels ils travaillent. Il n’est pas toujours facile, pour eux, de rester neutre quand l’enjeu politique les atteint directement.
Un retournement de situation similaire s’est produit au Proche-Orient, où le panarabisme unificateur de jadis s’est mué en exacerbation des différences et en revendications de l’antériorité de chaque peuple. C’est pourquoi, par exemple, l’Arabie saoudite développe, d’une façon exceptionnelle pour un pays musulman, une archéologie des périodes préislamistes. Mais Israël, autre Etat de cette région où l’archéologie est la plus développée, n’est pas en reste.
L’objectif est évidemment d’aider à établir le lien entre l’Israël ancien et le pays actuel. Des archéologues israéliens vont même jusqu’à proclamer que « fouiller est une forme de prière » ! Un tel état d’esprit entraîne certains d’entre eux à négliger parfois les vestiges « non utiles » dans leur désir de faire de leurs fouilles une validation historique de la Bible et d’autres textes anciens.
L’exemple le plus connu est celui des fouilles de Massada, dirigées dans les années 60 par Yigael Yadin, ancien officier de l’armée. Cette forteresse fut occupée, entre autres, par des groupes opposés au pouvoir romain (dont des juifs fervents, les zélotes, mais aussi des pillards) qui y moururent assiégés.
Josèphe, historien juif du 1 siècle de notre ère, a raconté comment les zélotes préférèrent se suicider plutôt que se rendre. C’est en s’appuyant sur ce récit que Yigael Yadin a interprété les vestiges.