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« Transformer le champ de bataille en église » – Pourquoi sommes-nous chrétiens ?, partie IV

Cette série de quatre articles intitulée « Pourquoi sommes-nous chrétiens ? » répond à l’affirmation selon laquelle le christianisme a triomphé grâce à ses propres mérites, une idée fausse qu’il faut dissiper avant de pouvoir discuter de manière sensée des véritables mérites et inconvénients du christianisme (thème des prochains articles).

 

« La caractéristique la plus distinctive de la littérature chrétienne primitive est sans doute sa proportion de faux [textes faussement attribués] », écrit Bert Ehrman dans Forgery and Counterforgery : The Use of Literary Deceit in Early Christian Polemics. Selon lui, durant les quatre premiers siècles de notre ère, les faux sont la règle dans la littérature chrétienne, et les documents authentiques l’exception. Les faux sont si systématiques qu’ils suscitent des contre-faux, c’est-à-dire des faux « produits pour contrer les opinions d’autres faux » [1].

La Vita Constantini, attribuée à Eusèbe de Césarée, est probablement un faux, tout comme le Constitutum Constantini (la Donation de Constantin). Ses éditeurs récents avertissent que certains spécialistes sont « très sceptiques » [2]. Quels que soient ses véritables auteurs, elle est typique du genre d’histoire que l’on peut attendre des propagandistes chrétiens de l’Antiquité tardive : des histoires, pas de l’histoire (stories, not history).

La Vita salue Constantin comme « resplendissant de toutes les vertus que confère la piété », tandis que Maxence, son rival vaincu au pont Milvius en 312, était prétendument un idolâtre et un sorcier débauché, « ouvrant parfois le ventre des femmes enceintes à des fins magiques, d’autres fois fouillant les entrailles de nouveau-nés » (Livre 1, chap. 36). Il fallait y penser !

Ainsi, la guerre civile entre Constantin et Maxence est présentée comme une guerre religieuse entre le christianisme et le « paganisme ». Ce n’était clairement pas le cas, car Constantin n’avait pas encore fait son coming-out chrétien et Maxence n’était pas un persécuteur des chrétiens. Mais s’il avait gagné, il y a fort à parier que le christianisme ne serait jamais devenu la religion officielle de l’Empire.

La deuxième guerre civile menée par Constantin avait quant à elle un arrière-plan religieux évident : son ennemi Licinius avait, dit-on, banni les chrétiens de son armée, et l’histoire édifiante des quarante martyrs de Sébaste – des soldats chrétiens exposés nus sur un étang gelé pour avoir refusé de sacrifier aux dieux (image en tête d’article) – est considérée comme contenant une part de vérité historique.

Quelque temps après la mort de Licinius, le poète Palladas pleura la ruine de la religion et des valeurs traditionnelles : « Nous, les Hellènes, sommes des hommes réduits en cendres, nous accrochant à nos espoirs enfouis avec les morts ; car tout a maintenant été bouleversé », écrivit-il dans un bien triste épigramme [3]. Notez que Palladas se qualifiait d’« Hellène », et non de « païen ». « Païen » est un de ces mots, comme « hérétique », que les historiens feraient mieux d’écrire entre guillemets. Et pourquoi ne pas tout simplement les appeler « Hellènes », puisque c’est ainsi qu’ils se nommaient eux-mêmes ? Et au lieu de « paganisme », nous parlerons d’« hellénisme ». C’est tout à fait approprié pour ces Romains qui chérissaient la sagesse, la poésie, la science, les mythes, les rites et les fêtes qu’ils avaient en grande partie hérités de la civilisation hellénistique.

Après la mort de Constantin en 337, une série de guerres civiles entre chrétiens et Hellènes continua de déchirer l’Empire romain pendant un siècle et demi. Dans son ouvrage désormais classique La Chute de Rome, Bryan Ward-Perkins soutient qu’il existe une forte corrélation entre ces guerres civiles et la chute de l’Empire romain d’Occident, traditionnellement datée de 476 après J.-C., avec la destitution du dernier empereur d’Occident :

« Les invasions n’étaient pas le problème majeur auquel était confronté l’empire occidental ; celui-ci a également été gravement touché, pendant une partie du Ve siècle, par la guerre civile et les troubles sociaux. Au cours des années très importantes comprises entre 407 et 413, l’empereur Honorius (résidant en Italie) a été contesté, souvent simultanément, par une multitude déconcertante d’usurpateurs [autre mot qui devrait être mis entre guillemets ou remplacé par "prétendant malchanceux"]… Avec le recul, nous savons que ce dont l’empire avait besoin pendant ces années, c’était d’un effort concerté et uni contre les Goths (qui marchaient alors sur une grande partie de l’Italie et du sud de la Gaule, et qui pillèrent Rome même en 410), et contre les Vandales, les Suèves et les Alains (qui entrèrent en Gaule à la toute fin de 406 et en Espagne en 409). Au lieu de cela, il a connu des guerres civiles, qui ont souvent pris le pas sur la lutte contre les Barbares. » [4]

Toutes les guerres civiles n’avaient pas des motivations religieuses. Et tous les historiens modernes ne considèrent pas la lutte entre chrétiens et Hellènes comme un facteur ayant contribué à la chute de Rome. Dans The Fall of the Roman Empire : A New History, publié en 2005, Peter Heather n’aborde pratiquement pas le processus de christianisation et estime avec désinvolture que « la transition vers le christianisme s’est déroulée de manière étonnamment harmonieuse » [5]. Dans Christendom : The Triumph of a Religion, publié 18 ans plus tard, il accorde davantage d’attention à la complexité du processus, mais ne le relie toujours pas à la chute de l’Empire occidental, qui, selon lui, est entièrement due aux invasions barbares. Je suis un grand admirateur des travaux de Heather, mais j’ai le sentiment qu’il a égaré ici une pièce du puzzle, dont d’autres historiens ont fait bon usage. En effet, même les relations entre les Romains et les Barbares avaient un arrière-plan religieux (les Goths ont adopté le credo homéen dans le cadre de leur accord initial avec l’empereur Valens, ce qui les a rendus hérétiques sous Théodose, ce qu’ils sont restés jusqu’en 589). Il n’est pas vraiment possible de prouver que la doctrine chrétienne a considérablement affaibli l’esprit patriotique et militaire des Romains, comme l’ont pensé Edward Gibbon et Ernest Renan – et, bien avant eux, Machiavel. Ce que l’on peut toutefois affirmer, c’est que les guerres civiles religieuses entre chrétiens et Hellènes ont été un facteur aggravant dans l’effondrement de l’Occident, et c’est ce que je vais tenter de démontrer ici. Que j’y parvienne ou non, j’aurai au moins documenté un aspect supplémentaire de la violence de la christianisation, qui est le sujet de cette série.

Magnentius

En 350, un général païen du nom de Flavius Magnentius (Magnence), soutenu par une population exaspérée par l’oppression religieuse de Constant, fut proclamé empereur par son armée à Autun, en Gaule. Les historiens chrétiens Philostorge et Zonare décrivent Magnence comme un adorateur du diable adepte de la magie noire, mais sur ses pièces de monnaie, il se qualifiait de liberator orbis Romani (« libérateur du monde romain »). Il abrogea la législation de Constant contre les cultes traditionnels, restaura les temples et célébra des sacrifices publics avec beaucoup de faste (et sacrifice animal signifie toujours banquet et souvent repas gratuit pour les pauvres). Il ne persécuta pas les chrétiens, mais ne nomma que des non-chrétiens à des postes de haut rang. Magnence vainquit et tua Constant, et régna pendant trois ans en Occident. Il fut finalement vaincu par le frère de Constant, Constance, et se suicida en 353. Eutrope, un historien romain contemporain, écrivit dans sa célèbre Petite histoire de l’Empire romain (X, 12) que la guerre contre Magnence affaiblit la défense de l’empire contre les barbares germaniques, qui en profitèrent pour lancer des incursions massives en Gaule en 356 : « De vastes forces de l’Empire romain furent décimées dans cette lutte, suffisantes pour mener toutes les guerres étrangères, remporter de nombreuses victoires et instaurer une paix durable. »

Après la mort de Constance en 361, son cousin Julien, dernier rejeton de la dynastie constantinienne, fut acclamé par l’armée gauloise et proclamé empereur. Il entra dans Constantinople et réunifia l’Orient et l’Occident. Il se déclara « hellène » et qualifia le christianisme de

« pure tromperie humaine, inventée avec malveillance, qui, n’ayant rien de divin, a néanmoins réussi à séduire les esprits faibles et à abuser de l’affection que les hommes ont pour les fables, en donnant une apparence de vérité et de persuasion à des fictions prodigieuses. » (Contre les Galiléens)

Julien l’Hellène (« l’Apostat », pour ses ennemis chrétiens) n’a pas interdit le christianisme. Il a simplement levé l’interdiction des cultes traditionnels, contraint l’Église à restituer les biens volés aux temples et interdit aux chrétiens d’enseigner la littérature classique. Bien qu’il ne fût pas un ami des Juifs, il projetait de reconstruire le temple de Jérusalem afin de saper l’eschatologie chrétienne – une idée judicieuse, avec le recul.

Mais Julien mourut après seulement 18 mois de règne, tué lors d’une bataille contre les Perses, peut-être par l’un de ses propres soldats chrétiens, selon son ami Libanius (Orations 18, 274-5). Son cousin Procopius, également hostile au christianisme, échoua dans sa tentative de s’emparer du trône. Il fut exécuté par Valens qui, avec son frère aîné Valentinien à l’Ouest, révoqua les mesures pro-hellènes de Julien, purgea l’administration des non-chrétiens et chrétiens douteux, et renforça la politique de christianisation/dépaganisation forcée.

L’autel de la Victoire

Une bataille très symbolique entre le christianisme et l’hellénisme eut lieu au Sénat de Rome. L’enjeu était l’autel de la Victoire, que surmontait une statue de la déesse Victoria (une figure symbolique plutôt qu’une véritable déesse, un peu comme la personnification de la République française sous les traits de Marianne). L’autel avait été érigé par Auguste et jouait un rôle important dans le cérémonial du Sénat. On y brûlait de l’encens et on y prêtait serment d’allégeance à l’empereur. L’autel avait été retiré par Constance II lors de sa visite à Rome en 357, puis remis à sa place par Julien, mais retiré à nouveau par Gratien en 382 sous l’influence de l’évêque Ambroise de Milan. Après l’assassinat de Gratien lors d’un coup d’État à l’été 383, le Sénat romain, toujours majoritairement attaché aux anciens rites, envoya une demande officielle au nouvel empereur pour qu’il autorise sa restauration. Le conflit est bien documenté, comme l’explique Alan Cameron dans The Last Pagans of Rome :

« Nous disposons non seulement de la requête de Symmaque, en sa qualité officielle de préfet de Rome, demandant la restauration de l’autel et des subventions, mais aussi d’une réfutation point par point par un contemporain aussi bien placé qu’Ambroise, évêque de Milan. Autrement dit, nous avons une confrontation directe entre le principal païen et le principal chrétien de l’époque. » [6]

Dans sa correspondance avec Ambroise et les empereurs, Symmaque invoqua le respect dû aux coutumes ancestrales et plaida en faveur de la tolérance religieuse :

« Nous regardons les mêmes étoiles, le ciel nous est commun, le même monde nous entoure. Quelle différence cela fait-il par quels moyens chacun cherche la vérité ? Un si grand secret ne peut être atteint par un seul chemin. »

D’ailleurs, ajouta-t-il, « qui serait à ce point un ami des Barbares qu’il ne regretterait pas l’autel de la Victoire ? » La supplique de Symmaque fut ignorée, et la législation chrétienne se durcit. Le 24 février 391, l’empereur senior d’Orient Théodose promulgua un nouvel édit punissant le culte païen de la peine de mort.

Ces lois répressives étaient particulièrement impopulaires dans la moitié occidentale de l’Empire, théoriquement sous l’autorité du jeune et faible Valentinien II (388-392), qui entra en conflit avec son chef d’état-major (magister militum) Arbogast, un non-chrétien d’origine franque. Trois mois après que Valentinien II eût été retrouvé pendu dans ses appartements (on conclut prudemment au suicide), Arbogast fit proclamer Augustus à Lyon un certain Eugène. La Gaule, l’Espagne et l’Italie se rallièrent à lui. Bien que chrétien nominal, Eugène était favorable au parti hellénique. Il nomma le sénateur hellène Nicomachus Flavianus préfet d’Italie et rétablit l’autel de la Victoire ainsi que d’autres cultes traditionnels. L’évêque Ambroise s’enfuit de Milan lorsque la cour impériale d’Eugène y arriva.

Théodose refusa de reconnaître Eugène, promut à sa place son fils Honorius, âgé de huit ans, au rang d’Auguste d’Occident, et promulgua de nouvelles lois anti-païennes, interdisant non seulement de sacrifier publiquement aux dieux, mais aussi, dans les maisons privées, « d’adorer les Lares avec du feu, les Génies avec du vin, les Pénates avec des parfums, ou d’allumer des lampes ou de brûler de l’encens pour eux, ou de suspendre des guirlandes » (Codex Theodosianus XVI.10.12, 8 novembre 392).

La bataille du Frigidus

L’affrontement final eut lieu en 394 lors de la bataille du Frigidus (Rivière froide) en Italie, entre l’armée d’Arbogast, portant une statue de Jupiter et des images d’Hercule, et l’armée de Théodose, marchant derrière une grande bannière de la Croix.

L’armée d’Arbogast eut l’avantage au début de la bataille, mais des vents contraires très forts jouèrent en défaveur de ses archers. La victoire de Théodose fut donc décrite comme un miracle par les propagandistes chrétiens [7]. Jean Chrysostome rend compte de la bataille dans un sermon prononcé à Constantinople à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Théodose :

« Lorsque les deux armées se trouvèrent face à face, que des nuées de lances furent lancées et que ses propres troupes furent repoussées par la violente attaque de l’ennemi, Théodose sauta de son cheval, jeta son bouclier à terre et tomba à genoux pour implorer l’aide du Ciel, transformant le champ de bataille en église, combattant avec des larmes et des prières, et non avec des flèches, des javelots et des lances. À ce moment-là, un vent soudain se leva et les lances de l’ennemi furent renvoyées sur ceux qui les avaient lancées. Voyant cela, l’ennemi, qui jusqu’alors respirait la fureur et le massacre, changea de tactique et acclama Théodose comme leur empereur. Ils ligotèrent les bras de leurs camarades derrière leur dos et les livrèrent. Et le bienheureux Théodose revint couvert de gloire, non seulement pour sa victoire, mais aussi pour la manière dont il l’avait remportée. » [8]

Eugène fut capturé et exécuté. Arbogast et Nicomachus Flavianus se suicidèrent.

La portée religieuse de cette bataille a été minimisée par certains historiens récents. Alan Cameron reconnaît qu’Arbogast était un « païen », mais souligne qu’« il y a une différence énorme entre être simplement païen et mener une révolte païenne » [9]. Mais selon Charles Hedrick, auteur de History and Silence, même ceux qui sont prêts à minimiser le rôle de la religion dans la campagne du Frigidus « doivent admettre qu’après coup, des auteurs chrétiens influents tels qu’Ambroise et Augustin ont considéré l’usurpation [d’Eugène] comme une révolte païenne » [10]. Selon Paulin de Nole, Arbogast avait promis de transformer les églises en écuries et de forcer tous les moines à servir dans l’armée si les dieux lui accordaient la victoire [11]. Dans mon précédent article, j’ai conclu que nous sommes chrétiens aujourd’hui parce que Constantin a vaincu Maxence et Licinius sur le champ de bataille il y a 1 700 ans. On peut également dire que nous sommes chrétiens parce que Théodose a vaincu Arbogast sur le champ de bataille.

Un facteur déterminant dans la victoire du camp chrétien a été le soutien apporté par le roi wisigoth Alaric. Ses guerriers ont été envoyés en première ligne et ont subi de lourdes pertes. Avec peut-être une certaine exagération, l’historien chrétien Paul Orose estime à 10 000 le nombre de Wisigoths tués sur le champ de bataille et commente que la bataille a donné lieu à deux victoires romaines : l’une sur Eugène, l’autre sur les Goths, dont la puissance militaire a alors été sévèrement affaiblie [12]. Seize ans plus tard, cependant, Alaric sera encore capable de ravager l’Italie et de piller la ville de Rome, en partie par ressentiment envers l’ingratitude de l’empereur.

La répression du « paganisme » reprit immédiatement après la victoire de Théodose. Voici comment Zosime, l’historien hellène de Constantinople, raconte les conséquences de la bataille du Frigidus (Historia Nova, IV, 59) :

« Après ces succès, l’empereur Théodose se rendit à Rome… Il convoqua le Sénat, qui adhérait fermement aux rites et coutumes anciens de son pays et ne pouvait être amené à se joindre à ceux qui étaient enclins à mépriser les dieux. Dans un discours, il les exhorta à renoncer à leurs anciennes erreurs, comme il les appelait, et à embrasser la foi chrétienne, qui promet l’absolution de tous les péchés et de toutes les impiétés.

Mais aucun d’entre eux ne se laissa convaincre, ni ne renonça aux anciennes cérémonies qui leur avaient été transmises depuis la construction de leur ville, pour leur préférer une croyance irrationnelle ; ayant, comme ils le disaient, vécu dans leur observance pendant près de douze cents ans, période durant laquelle leur ville n’avait jamais été conquise, ils ne pouvaient pas prévoir ce qui arriveraient s’ils les changeaient pour d’autres. »

Théodose supprima alors tous les financements impériaux destinés aux anciens rites sacrés et sacrifices. « Ainsi, écrit Zosime, les lois relatives à l’accomplissement des rites sacrés et des sacrifices furent abrogées et abolies, ainsi que d’autres institutions et cérémonies qui avaient été reçues de leurs ancêtres. »

Rome, capitale de l’hellénisme

Dans toute cette séquence d’événements, la ville de Rome, bien qu’elle ait été embellie par Constantin le Grand avec les basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul (reconstruites plusieurs fois), apparaît comme le bastion du parti hellénique occidental résistant à la christianisation forcée. Constantin lui-même avait été confronté à une forte opposition à sa politique religieuse à Rome, où Maxence était au contraire très aimé et pleinement soutenu par le Sénat. Dernier empereur à résider de manière permanente dans l’ancienne capitale, Maxence avait défendu les intérêts de la ville contre les autres prétendants à la tétrarchie, lors du remaniement du pouvoir qui suivit l’abdication de Dioclétien et Maximien en 305. Bâtisseur prolifique, il avait entrepris d’importants travaux pour améliorer et embellir la ville. Malgré la damnatio memoriae prononcée contre lui par Constantin, les Romains conservèrent le mausolée de Maxence, à côté de l’hippodrome qu’il leur avait offert (Cirque de Maxence). Le victorieux Constantin, en revanche, fut hué à Rome. Arthur Beugnot écrivait dans son Histoire de la destruction du paganisme en Occident (1835) :

« À Rome, dans cette citadelle du paganisme, dont Constantin n’avait pas toujours ménagé soigneusement les préjugés, il était devenu odieux depuis son changement de religion. Quand il vint dans ses murs en 326, il fut reçu avec des malédictions (blasphemías), quitta promptement cette ville et n’y reparut plus. Libanius dit seulement que les Romains employèrent contre lui l’arme du ridicule ; peu importe que ce soient injures ou sarcasmes. » [13]

L’hostilité de la population et de l’aristocratie sénatoriale de Rome, qui allait résister à la christianisation pendant encore deux siècles, fut probablement l’une des raisons qui poussèrent Constantin à fonder sa propre ville, en son nom, sur le Bosphore. Les Italo-Romains et les Gallo-Romains ont mené la résistance la plus forte contre la christianisation forcée (non pas contre le christianisme en tant que tel, mais contre l’interdiction et la destruction des cultes anciens). Ramsay MacMullen écrit :

« Les personnes puissantes établissaient leurs propres règles. Celles qui vivaient en Italie, même sans armes mais de haut rang, maintenaient ouvertement leur loyauté envers les anciens dieux. […] Tant qu’on les laissait tranquilles, elles accordaient plus que du respect à leur foi. Il n’y a aucune raison de supposer qu’elles ne constituaient pas la majorité jusqu’au Ve siècle. » [14]

Non seulement Constantin a déplacé la capitale impériale à Constantinople, mais après la bataille du Frigidus, Théodose, le second grand christianisateur de l’Empire, a fait de Ravenne, sur la côte adriatique, la capitale de la moitié occidentale de l’Empire, et y a installé son fils Honorius. L’évêque de Rome, qui n’était pas encore « le pape », devint le représentant de la cour impériale de Constantinople jusqu’à la fin de la « papauté byzantine » en 762, c’est-à-dire jusqu’à la montée du pouvoir carolingien.

Stilicon

Le général Stilicon (Flavius Stilicho), qui combattit pour Théodosius lors de la bataille du Frigidus, devint chef de l’armée occidentale (magister militum) et fut nommé par Théodose tuteur du jeune Honorius, devenant ainsi le chef de facto de l’Empire occidental. Lui-même marié à la nièce de Théodose, il maria successivement ses deux filles à Honorius et était considéré comme un prétendant potentiel à la pourpre. Pragmatique et modéré, il mena une politique de tolérance religieuse. Il s’entoura d’Hellènes notoires, tels que son panégyriste Claudien, protégea les temples païens et traita avec déférence le Sénat romain, majoritairement attaché aux cultes anciens. Certains sénateurs considéraient certainement Stilicon comme un partisan secret des anciens cultes, car lors de plusieurs missions à Ravenne, il était accompagné de Symmaque, porte-parole du parti hellénique [15]. Des rumeurs circulaient selon lesquelles le fils de Stilicon, Eucherius (Eucher), avait renié le christianisme et embrassé le paganisme. Ce n’est pas sans raison que la cour impériale et le clergé craignaient un coup d’État de Stilicon, qui aurait pu placer son fils sur le trône impérial. Stilicon fut donc jugé et exécuté par l’empereur Honorius en 408, suivi peu après par son fils. À la suite de la destitution de Stilicon, Honorius renvoya tous les non-chrétiens de la fonction publique, y compris certains des officiers militaires les plus expérimentés. « Ces mesures, commente Edward Gibbon, si avantageuses pour un ennemi, auraient été approuvées par Alaric, qui les aurait peut-être même suggérées. »

« Par la conduite imprudente des ministres d’Honorius, la république perdit l’aide et mérita l’inimitié de trente mille de ses soldats les plus courageux ; et le poids de cette formidable armée, qui seule aurait pu déterminer l’issue de la guerre, fut transféré de la balance des Romains à celle des Goths. » [16]

Le sac de Rome a-t-il été souhaité par les chrétiens ?

Après le sac de Rome par les Wisigoths d’Alaric en 410, les Hellènes éprouvaient un ressentiment généralisé à l’égard des chrétiens. Beaucoup affirmaient qu’en chassant les dieux qui avaient protégé Rome depuis sa naissance, les chrétiens avaient attiré une malédiction sur la ville, et Augustin écrivit le premier livre de La Cité de Dieu en réponse à cette accusation.

Mais une accusation plus grave flottait dans l’air : celle selon laquelle les empereurs chrétiens avaient en fait volontairement laissé le sac se produire, en refusant systématiquement toute négociation avec Alaric. Peter Heather écrit, dans The Fall of the Roman Empire :

« La conclusion inévitable à tirer d’une exploration approfondie de la séquence des événements entre 408 et 410 […] est qu’Alaric ne voulait pas que le sac ait lieu. Ses Goths se trouvaient à l’extérieur de la ville par intermittence depuis la fin de l’automne 408 et, s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu la prendre à tout moment au cours des vingt mois qui ont suivi leur arrivée. […] Le siège de Rome n’était qu’un moyen de faire pression sur Honorius et ses conseillers pour qu’ils acceptent un accord. Mais cette stratégie n’a jamais fonctionné. En substance, Alaric a surestimé l’importance de la ville pour l’autorité impériale basée à Ravenne. Rome était un symbole puissant de l’Empire, mais elle n’était plus le centre politique du monde romain. » [17]

En d’autres termes, Honorius et ses conseillers cléricaux ne se souciaient guère de Rome. En fait, les commentaires d’Augustin sur le sac de Rome traduisent une certaine satisfaction face au châtiment infligé à la ville la plus rebelle à Dieu. Cela apparaît encore plus clairement dans les écrits de Paul Orose, élève d’Augustin, qui attribue le sac de Rome à la colère de Dieu provoquée par l’impiété des habitants de Rome, car « l’incrédulité et la désobéissance seront laissées comme des excréments et de la paille pour être détruites et brûlées » [18]. Procope de Césarée rapporte une rumeur selon laquelle c’est la pieuse chrétienne Anicia Faltonia Proba, une connaissance d’Augustin, qui aurait ouvert les portes de la ville aux Barbares (Les guerres vandales, I, 2). Tout cela reflète le ressentiment des Hellènes romains, qui pensaient que l’empereur chrétien Honorius utilisait les Barbares pour punir ses sujets païens.

On soupçonnait même qu’un accord secret avait été conclu entre Alaric et l’Église, car les Wisigoths épargnèrent les chrétiens et leurs sanctuaires, comme le confirment toutes les sources. Du point de vue chrétien, le sac de Rome fut « le sac d’une ville le plus civilisé jamais observé », commente Peter Heather :

« Les Goths d’Alaric […] traitèrent avec beaucoup de respect bon nombre des lieux les plus sacrés de Rome. Les deux principales basiliques, Saint-Pierre et Saint-Paul, furent désignées comme lieux de sanctuaire. Ceux qui s’y réfugièrent furent laissés en paix, et les réfugiés en Afrique rapportèrent plus tard avec étonnement que les Goths y avaient même conduit certaines saintes dames, en particulier une certaine Marcella, avant de piller méthodiquement leurs maisons. » [19]

Sur la base de son étude minutieuse du sac de Rome, l’historien français André Piganiol a écrit : « Nous soupçonnons, sans posséder la preuve, que le sac de 410 a été voulu et préparé par les fanatiques chrétiens qui se dissimulaient dans l’ombre d’Honorius. » [20] Une telle conclusion est peut-être exagérée. Ce qui est certain, c’est qu’Alaric était considéré par les chrétiens comme l’instrument de Dieu pour punir, humilier et soumettre la ville qui faisait obstacle à la christianisation de l’Occident. Rome ne s’en remit jamais, pas plus que le parti des Hellènes. Le sac de Rome fut le coup de grâce porté à la Rome païenne. L’Empire romain d’Occident était enfin entièrement chrétien. Mais soixante-six ans plus tard, il avait cessé d’exister.

Pour cette série d’articles, je suis redevable à Willeime, auteur de trois vidéos remarquables intitulées « La Chute de l’Empire romain causée par le christianisme ? » (à voir ici avec le texte imprimé). Son travail m’a servi de point de départ bibliographique, me permettant notamment de découvrir Ramsay MacMullen, Bryan Ward-Perkins et Peter Heather.

Laurent Guyénot

 

Notes

[1] Bart D. Ehrman, Forgery and Counterforgery : The Use of Literary Deceit in Early Christian Polemics, Oxford UP, 2013, pp. 1, 27.

[2] Eusebius, Vie de Constantin, traduit avec introduction et commentaires par Averil Cameron et Stuart G. Hall, Clarendon, 1999, p. 1.

[3] Peter Heather, Christendom : The Triumph of a Religion, Knopf, 2023, p. 102.

[4] Bryan Ward-Perkins, The Fall of Rome and the End of Civilization, Oxford UP, 2006, p. 44.

[5] Peter Heather, The Fall of the Roman Empire : A New History, Macmillan, 2005, p. 232.

[6] Alan Cameron, The Last Pagans of Rome, Oxford UP, 2011, p. 40.

[7] Nic Fields, La bataille du Frigidus, 394 après J.-C. : le miracle de Théodose, Pen & Sword Military, 2024.

[8] Cameron, Les derniers païens de Rome, pp. 107-8.

[9] Cameron, Les derniers païens de Rome, pp. 74-5.

[10] Charles W. Hedrick, History and Silence : The Purge and Rehabilitation of Memory in Late Antiquity, University of Texas Press, 2000, p. 85, cité dans Cameron, The Last Pagans of Rome, p. 112.

[11] Dennis Trout (éd.), Paulinus of Nola, Life, Letters, and Poems, University of California Press, 1999, p. 106.

[12] Heather, The Fall of the Roman Empire, p. 212.

[13] Arthur Beugnot, Histoire de la destruction du paganisme en Occident, tome I, Paris, 1835, p. 97.

[14] Ramsay MacMullen, Paganism in the Roman Empire, Yale UP, 1981, pp. 132-3.

[15] Arthur Beugnot, Histoire de la destruction du paganisme, p. 33.

[16] Edward Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain, 1789-94, chapitre XXXI, partie I, pp. 1203-4.

[17] Heather, The Fall of the Roman Empire, pp. 228-9.

[18] Bryan Ward-Perkins, La Chute de Rome. Fin d’une civilisation, Champs/Flammarion, 2017, p. 44*.

[19] Heather, La chute de l’Empire romain, p. 227.

[20] André Piganiol, Le Sac de Rome, Albin Michel, 1964, p. 123.

« Pourquoi sommes-nous chrétiens ? », les trois premières parties

 
 






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  • "L’Empire romain d’Occident était enfin entièrement chrétien. Mais soixante-six ans plus tard, il avait cessé d’exister.".
    Tout comme l’Occident chrétien était voué à sombrer dans la décadence et la mondialisation après des siècles de guerres fratricides (guerres de religions puis 2 guerres mondiales).

     

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  • #3557910

    A vous lire, ce qui m’étonne c’est l’origine géographique des sources, à majorité écrasante anglo-saxonne. Ici, bien sûr le décret de Théodose est important, et il aurait été vraiment intéressant de savoir les forces politiques qui l’avaient promu et celles qui s’y opposaient, avant sa promulgation, l’origine des conseillers, etc... Théodose n’a pu prendre une pareille décision tout seul, sur un coup de tête ! Quand même ! Encore une fois, la géographie importe, car il me semble qu’au lieu de se centrer sur Rome, il aurait aussi fallu comprendre que le décret de Théodose est ce qui permit, non seulement le meurtre d’Ipathie à Alexandrie par une foule de chrétiens incultes, mais surtout, et c’est naturellement le mobile majeur, l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, porteuse de toute la connaissance du monde antique. Des siècles de sciences, d’art et d’histoire en cendres... Alors, après toutes ces cendres, on pouvait impunément réécrire n’importe quoi sur une table rase. Une excursion dans l’Appolonius de Tyane de Jean-Louis Bernard donnerait aussi un aperçu sur la suppression, au IVè siècle, avant les événements cités, du culte ésotérique d’Appolonius de Tyane. C’est un peu l’ancien monde de l’empire d’Alexandre qui rentre dans l’oubli avec les anciens mystères, au cours de l’impérialisation de l’Eglise, de ce quatrième siècle. On définit ensuite le corpus canonique en supprimant les apocryphes, et les moines de la Vie cataracte à Nag Hammadi durent planquer leurs rouleaux coptes gnostiques retrouvés en 1945. La normalisation a dû être vraiment sévère ! Le point final du gommage de l’ancienne anthropologie antique sera la condamnation conciliaire sous l’empereur byzantin Justinien au VI è siècle de l’enseignement d’Origène (mort trois siècles plus tôt) sur la réincarnation, et sur l’apocatastase, qui leva un rideau de fer doctrinal avec les religions orientales. Les descendants des fauteurs des tribulations du peuple juif à Babylone ne s’en sont pas remis.

     

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    • Les mercenaires sont souvent équipés par leurs commanditaires, vous savez.

       
    • Effectivement, Laurent Guyénot n’utilise que des sources anglo-saxonnes, c’est-à-dire protestantes, donc ennemies de l’église catholique romaine et de l’église orientale orthodoxe.

      C’est d’ailleurs paradoxal puisque le principal reproche qua fait la réforme au catholicisme est puritaine ou fondamentaliste, c’est que la religion et les institutions catholiques sont composées essentiellement de traditions chrétiennes gallo-romaines et grecques qui ont été christianisées. Ils exigent que toutes ces traditions païennes, dont la langue latine, soient rejettées pour revenir à un christianisme fondamental primitif, c’est-à-dire au judaisme d’avant le Christ.

      L’Église catholique est tellemant peu ennemie des traditions païennes, que le calendrier catholique a conservé depuis 17 siècles tous les noms de jours de la semaine et des mois qui sont ceux des divinités païennes, sauf le Dimanche, jour de Dieu, de Deus, Théos, mot venant de celui de Zeus.

       
    • L’Amphore des Halles : " mais surtout, et c’est naturellement le mobile majeur, l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, porteuse de toute la connaissance du monde antique. Des siècles de sciences, d’art et d’histoire en cendres..."

      L’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie est une légende, plusieurs même, certains l’attribuent à un général de Mahomet.
      Selon les historiens sérieux, le fonds de la Biblithèque d’Alexandrie a été détruit par les souris, l’humidité, les insectes et des vols, à cause de l’effondrement de l’Empire des Ptolémée, le bâtiment n’était plus entretenu ni gardé, c’était des papyrus.

       
    • LOL… Donc, sous prétexte que cet article s’appuie surtout sur des sources anglo-saxonnes, ce serait de la propagande protestante ?

      C’est absurde : vous mélangez tout et ne répondez en rien au fond du sujet. Ici, on parle de recherche académique sur l’histoire de l’Europe et du christianisme, pas d’exégèse biblique ni d’enseignement des dogmes catholiques. Dire que les auteurs anglo-saxons seraient forcément protestants n’a aucun sens. Dans ce domaine, on trouve d’ailleurs de nombreux spécialistes catholiques, mais aussi athées ou agnostiques — comme Bert Herman, pour ne citer qu’un exemple.

      La recherche académique sur l’histoire du christianisme antique repose sur des méthodes critiques, comparatives et pluridisciplinaires, parfois (mais cela n’est pas toujours le cas) cela peut dépasser les convictions religieuses des auteurs et privilégier l’analyse historique. Il est d’ailleurs d’autant plus absurde de parler de conflit que les thèses évoquées ici ne remettent nullement en cause le catholicisme. De la même manière, même face aux scandales actuels de l’Église, une personne raisonnable sait distinguer les faits d’une attaque contre la foi elle-même.

      Et si le sujet vous passionne, il est bien plus constructif de discuter des travaux proposant une autre perspective que d’attaquer celui qui les cite. Car le vrai ridicule consiste à exprimer un désaccord sans disposer d’un avis réellement éclairé et pertinent sur la question ?

       
    • @ ÀQuel.
      Le fonds de cette histoire est l’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain d’Edward Gibbon qui a passé une grande partie de sa vie chez les calvinistes à Genève où il avait été amoureux de la future femme du banquier ministre Necker, mère de l’horrible Madame de Staël.
      Cette histoire des débuts de l’église catholique romaine a été traduite et publiée en France sous la direction de l’hitorien protestant, républicain et anticlérical François Guizot, historien auquel Marx reconnaît avoir emprunté la notion de lutte des classes, ministre du roi de la bourgeoisie d’affaire Louis-Philippe d’Orléans.
      Cette histoire a été mise à l’index par l’église catholique d’Irlande jusqu’en 1975.
      Autres Genevois à cette époque : Rousseau, Marat.

       
  • Bonjour vive le Christ Roi et la glorieuse religion historique de notre pays, merci et bon dimanche.

     

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  • Vous annoncez vouloir « discuter de manière sensée des véritables mérites et inconvénients du christianisme ». Mais si l’objet de votre étude se limite aux stratégies de l’Église impériale et à ses compromissions politiques, vous ne jugez pas du christianisme : vous analysez Babylone la grande, ce système religieux que Jean décrit dans l’Apocalypse, « revêtu de pourpre et d’écarlate, ivre du sang des saints et des témoins de Jésus » (Ap 17).

    Cette confusion est lourde de conséquences. Car le christianisme, ce n’est pas d’abord une institution, ni une politique, ni une propagande. C’est la personne du Christ, son enseignement, sa mort et sa résurrection. Les « mérites » et « inconvénients » ne peuvent se mesurer qu’à l’aune de cela. Dès qu’on substitue aux Évangiles les intrigues de l’Empire, on ne fait plus œuvre d’histoire mais de dérivation : on évalue une contrefaçon en croyant évaluer l’original.

    Et c’est précisément ce que l’Apocalypse annonçait : toutes les grandes structures religieuses, qu’elles soient christianisées, islamisées ou hindoues, finiraient par séduire les rois de la terre et se compromettre. L’histoire de l’Église impériale n’infirme donc pas le christianisme : elle confirme la prophétie.

    Votre projet de « dissiper une idée fausse » s’inverse alors : en croyant clarifier, vous obscurcissez, en confondant l’Épouse et la Prostituée. L’histoire de Babylone mérite bien sûr d’être étudiée, mais il serait intellectuellement plus honnête de la nommer pour ce qu’elle est — un système religieux corrompu — plutôt que d’en faire l’étalon pour juger du Christ et de ceux qui le suivent.

     

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    • #3558033

      Ambroise de Milan, dans son discernement spirituel supérieur, avait interdit Théodose d’entrer dans l’église, au motif du sang innocent qu’il avait fait couler. C’est de cette cathédrale de Milan que le Hohenstaufen, mal en cour à Rome, emportera les reliques des rois mages à Cologne, où elle se trouvent toujours, dans la cathédrale, pour rappeler mieux l’ignorance d’Hérode, demandant que l’on cherchât dans les Ecritures à ce sujet (Michée 5:2), alors que la sagesse des prophéties et laconnaissance de l’astronomie, étaient alors conservées évidemment en Orient, connaissance qu’Hérode demandera aux Mages dans une audience secrète (in Mathieu 2).

       
    • Ici on ne te parle pas du "message de Jésus ", c’est pas le sujet !

       
    • @Vincent

      Complètement d’accord avec vous

       
    • "le christianisme, ce n’est pas d’abord une institution, ni une politique, ni une propagande. C’est la personne du Christ, son enseignement, sa mort et sa résurrection."

      Le Christianisme n’est pas le Christ. Le Christianisme, c’est d’abord une politique, une propagande, un enseignement que l’Eglise a mit en place en sélectionnant ce qui lui convenait et en détruisant ce qui ne lui plaisait pas, pour en faire un instrument de domination politique.
      On retrouve d’ailleurs la même chose dans toutes les religions.

       
    • Cher Knokke,

      On comprend qu’il soit tentant de se rêver en théologien 2.0. Mais quand on trébuche déjà sur la distinction élémentaire entre christianisme et chrétienté, la modestie commanderait de commencer par ouvrir un dictionnaire avant de prétendre ouvrir les Évangiles.

      Le christianisme désigne ce qui se rattache au Christ : sa personne, son enseignement, sa mort et sa résurrection. La chrétienté, elle, désigne l’édifice institutionnel qui s’est développé ensuite, avec ses compromissions politiques et ses dérives. Confondre les deux, c’est une faute de français avant même d’être une faute de raisonnement. C’est comme confondre la médecine avec l’industrie pharmaceutique : l’une soigne, l’autre administre, organise, parfois dévoie. On peut critiquer l’appareil, mais ce n’est pas lui qui donne la vie.

      Voilà pourquoi votre critique, en réalité, ne vise pas le Christ mais les compromissions d’un appareil religieux. Ce qui a traversé les siècles, ce ne sont pas les intrigues impériales ni les conciles instrumentalisés, mais la foi en Celui qui a dit : « J’ai vaincu le monde » (Jn 16:33).

       
    • #3559649

      « J’ai vaincu le monde »



      Ah oui, quand-même… J’observe un monde vaincu, en effet… Et ce n’est apparement pas celui des Gallery marchandes. Ni celui de la tyrannie sioniste.

      - À ce demander pour quel peuple il roule vraiment :-/

       
  • Constantin convoque et préside le concile de Nicée en 325, qui condamne l’arianisme, doctrine d’Arius niant la pleine divinité du Christ.

    Par la suite, Constantin rappelle Arius d’exil et se rapproche de certains évêques perçus comme favorables à sa cause, tel Eusèbe de Nicomédie.

    À plusieurs reprises, il fait revenir des évêques ariens, geste interprété par beaucoup comme un calcul politique davantage que comme l’expression d’une conviction théologique ferme.

    En 337, sur son lit de mort, il reçoit le baptême des mains d’Eusèbe de Nicomédie.
    Ce choix a conduit certains historiens à envisager une adhésion finale à l’arianisme.

    Ainsi, entre stratégie impériale et foi personnelle, il demeure difficile de démêler ce qui relevait du politique et ce qui relevait du religieux.

    Quelques précisions :
    Les Goths avaient été évangélisés au IVᵉ siècle par Ulfila (ou Wulfila), un évêque arien qui traduisit la Bible en gotique.
    Ainsi, quand ils s’installent dans l’Empire romain, la majorité d’entre eux pratiquent une forme de christianisme distincte du catholicisme nicéen professé par les Romains.

    Cela explique aussi une certaine méfiance réciproque : les Goths considéraient les Romains comme des « hétérodoxes », et inversement, les Romains les voyaient comme des « hérétiques ».

    Toutefois, il est important de noter que malgré leur arianisme, les Wisigoths respectèrent les églises chrétiennes lors du sac de Rome (les sanctuaires furent en grande partie épargnés).

    On peut dire que les Goths qui pillèrent Rome en 410 étaient principalement ariens (toutes les élites et une grande partie de leurs guerriers) mais avec une composante encore partiellement païenne. Ce qui ajoute une dimension religieuse au conflit, même si leurs motivations étaient surtout politiques et matérielles ?

     

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    • J’ai toujours été surpris que l’on ne présente presque jamais les invasions barbares et le sac de Rome comme l’affrontement de chrétiens contre d’autres chrétiens.

      Les Wisigoths d’Alaric, ariens, ont en effet respecté les églises chrétiennes, tout en pillant surtout les demeures des païens et des aristocrates romains.

      Il faut rappeler que ces Wisigoths avaient d’abord été intégrés par Rome comme foederati (alliés militaires rémunérés ou installés sur des terres). Mais Rome n’a pas tenu ses engagements : soldes impayées, mépris du Sénat, intrigues politiques. C’est dans ce contexte qu’Alaric a rompu son alliance et marché sur Rome.

      Leur présence aux portes du pouvoir découle avant tout de décisions politiques romaines. Rien ne permet d’affirmer que l’Empire ait volontairement « utilisé les ariens » pour affaiblir les Hellènes ou les païens de la Ville, même si l’hypothèse garde toute sa pertinence.

      Pour ma part, ce qui me frappe surtout, c’est que ces barbares étaient eux aussi des chrétiens — une donnée trop souvent oubliée dans la manière dont on raconte ces événements ?

      On peut alors se demander : les chrétiens romains se sentaient-ils plus proches des païens romains, héritiers de leur culture, ou de ces barbares extérieurs mais eux aussi croyants en Jésus, bien que considérés comme hérétiques ?
      Il est tentant de penser que, pour certains chrétiens romains, le fait de voir des barbares chrétiens s’en prendre avant tout aux païens ait pu être interprété comme un châtiment divin.

      Je suis bien conscient qu’aux yeux des Romains, la différence restait immense entre les citoyens et ces barbares perçus comme sauvages et non civilisés. Pourtant, l’Empire avait toujours intégré des peuples conquis, et il est possible que ces envahisseurs n’aient pas représenté une menace aussi radicale qu’on l’imagine aujourd’hui pour l’univers de la civilisation romaine.

       
  • M. Guyénot, à son habitude, propose une analyse critique de la montée du christianisme en tant que machine perverse et cruelle, insistant sur l’utilisation politique de la religion pour légitimer le pouvoir. Toutefois, sa vision tend à réduire la chrétienté à une simple stratégie de pouvoir, négligeant la dimension spirituelle vécue par les croyants.

    La critique des manipulations historiques et de la répression religieuse sous Théodose est pertinente, mais l’auteur pourrait mieux nuancer l’analyse en considérant l’équilibre entre enjeux politiques et convictions religieuses. La question des motivations de Théodose mérite d’être approfondie : ses décisions étaient-elles purement politiques ou aussi marquées par une foi sincère ? Enfin, l’idée selon laquelle les guerres civiles religieuses ont facilité les invasions barbares reste une hypothèse qui mériterait davantage de preuves. L’ensemble est intéressant mais manque parfois de nuances sur la complexité des dynamiques historiques.

     

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    • Le "spirituel " c’est pour les gogos, la volonté de pouvoir c’est le but recherché ! L’église et la papauté ont toujours fait de la politique pour dominer les rois et les princes !

       
    • Entre les convictions politiques ou religieuses, parfois mêlant les deux, je vous défie de me dire de qui vient la vérité. De tous temps, dans toutes les religions, les politiques se servent de la religion et vis versa pour les religieux dans un but de domination ou de conquête de richesses et pouvoir.
      Définir une croyance par rapport à des êtres humains, c’est plutôt risquer d’après nos observations de la nature humaine...
      On découvrira la vérité chacun à son époque en solitaire, quand la faucheuse viendra nous rappeler à notre condition de mortels.

       
  • je ne comprends pas bien ce besoin de mettre toujours en avant des historiens anglo_saxons pour traiter de ce sujet (Rome et le christianisme), les historiens français et allemands sont beaucoup plus au fait des faits que les anglo saxons qui ne se servent des faits que pour émettre toujours des théories sur la fin de l’empire fortement teintées d’idéologie. (Gibbon et les autres)

     

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    • Le regard extérieur est une bonne chose en tant que regard critique par opposition au regard intérieur qui risque dévier vers l’apologie ; bien sûr à condition de ne pas en faire un étalon de vérité mais un dispositif d’ouverture d’esprit et de correction des préjugés et des autosatisfactions internes.

       
    • #3558234
      Le 3 septembre à 16:10 par Les Génocides du Seigneurs sont Impénétrables™
      « Transformer le champ de bataille en église » – Pourquoi sommes-nous chrétiens (...)

      En effet, F.Nietzsche, qui “lui” avait un véritable bagage historique et philosophique sur cette période, avait très bien pénétré les (((voies impénétrables))) du Dieu des chrétiens.

      Après, dans Anglo-Saxon, il y Saxe…

       
    • Indiquez-moi des historiens français récents à lire sur le sujet.

       
    • Nietzsche c’est bien celui qui a théorisé le surhomme, et qui n’a pas supporté de voir un cheval recevoir quelques coups de cravache c’est bien ça ?
      Celui qui a dénoncé l’esprit moderne (démocratie, droit de l’homme...) et soulevé l’arrière plan de Ressentiment, mais qui au moment de désigner QUI incarnait cette révolution morale en Occident, QUI était son agent de synthèse, s’est lâchement essuyé sur le paillasson chrétien, dont tout le monde à part lui avait compris qu’il n’était nullement l’instigateur mais la cible première de cette révolution ?

      Etant fils de pasteur, il se pouvait effectivement qu’il confonde judéité et chrétienté...

      Mais en vérité, il avait un grand soucis à ne pas être pris pour antisémite (bien que tous ces travaux auraient dû mener jusque-là..), voir qu’il admirait la manière dont les juifs assumaient leur histoire criminelle, et ne cédaient pas à la bien-pensance de l’époque.

      Effectivement il avait un certain "bagage", et tu peux être sûr qu’aujourd’hui il vengerait sa condition d’homme faible en soutenant la bannière Israélienne sur Gaza, au nom de sa fameuse volonté de puissance.

      Après tout pourquoi pas, mais il faut juste être conscient de ses références, et savoir de qui ont tient notre critique...

       
    • Marie-Françoise Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité (Fayard, 2007)
      Simon-Claude Mimouni, Le judéo-christianisme (Cerf, 1998, rééd. 2012)
      Pierre Maraval, Le christianisme de Constantin à la conquête arabe (PUF, 1997, rééd. 2021)
      Michel-Yves Perrin, Christianisme et empire romain (2017)
      Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (Albin Michel, 2007)
      Yann Le Bohec, Rome et l’armée (Tallandier, 2004, rééd. 2018)

       
    • @ Laurent Guyénot

      Vous savez bien que tous ces auteurs "modernes" et "critiques" sont les continuateurs de L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, d’Edward Gibbon, écrite sous l’influence des calvinistes de Genève, parue en 1788, traduite et diffusée en France par l’historien protestant républicain, athée et anticlérical François Guizot, mise à l’index par l’Église catholique d’Irlande jusqu’en ... 1975.
      Moderne et critique sont deux mots synonymes de protestant.

       
  • Laurent Guyénot devrait lire (...si ce n’est déjà fait) la série d’aticles sur le polythéisme aryen proposée sur DP.

    La seule possibilité durable pour les Français de sang de rétablir un équilibre "ethno-géographique" reside dans le retour au source. Relier avec les racines de nos véritables ancêtres Aryans.

     

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  • Si l’on regarde les choses à grande échelle, on en revient toujours au même : le christianisme institutionnel s’est développé en opposition à la tolérance christique ; et parce qu’il prétend détenir l’unique vérité, tout monothéisme véhicule le mal de l’intolérance ; non pas que la vérité soit multiple, elle est bien unique mais elle est compliquée et requiert pour son établissement le débat démocratique ou la nuance diplomatique.

     

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  • En m’appuyant sur les travaux de Bert Herman, on peut lire Paul de Tarse comme l’architecte d’une religion dont la charpente idéologique préparait la soumission des peuples et ouvrait la voie à l’expansion impériale.


    Paul n’a jamais connu Jésus de son vivant. Il fonde sa légitimité sur une apparition personnelle — rapportée par les témoins de manière contradictoire — et n’hésite pas à accuser les apôtres eux-mêmes, choisis par Jésus de son vivant, de prêcher un faux Évangile.

    Mais leChrist qu’il annonce n’a plus rien du prédicateur juif du Ier siècle — guérisseur, prophète apocalyptique et contestataire — exécuté par Rome. Paul efface toute trace biographique, toute parole concrète, pour inventer un sauveur abstrait et universel, détachable de son enracinement historique et parfaitement exportable à travers l’Empire.
    Pas totalement détachable cependant : comme le rappelle Laurent Guyénot, contrairement à Marcion qui voulait rompre avec le judaïsme, les Pères de l’Église conserveront l’Ancien Testament. LaBible devient ainsi de facto judéo-chrétienne, articulant Ancien et NouveauTestament.

    Le Christ cosmique dePaul sert aussi un objectif politique implicite. Dans l’Épître aux Romains(13), il proclame que toute autorité vient de Dieu et que les fidèles doivent s’y soumettre. En une formule, la contestation est neutralisée, la révolte délégitimée, et la docilité transformée en vertu spirituelle. Rome y gagne une arme idéologique : la conquête militaire devient secondaire,la victoire réelle consiste à persuader les peuples que leur obéissance est un devoir sacré.

    Les Évangiles, rédigés plus tard, parachèvent ce dispositif en blanchissant Rome par la figure de Pilate qui« se lave les mains »et rejette symboliquement la responsabilité de l’exécution de Jésus. Certes,les responsabilités étaient partagées entre les élites juives et l’occupant romain mobilisé contre le soulèvement des zélotes. Mais le récit canonique détourne la charge et dédouane l’Empire, préparant ainsi une religion d’ordre, apte àse fondre dans l’autorité impériale.

    En définitive, Paul deTarse persécuteur des premiers disciples deJésus n’a pas seulement transmis une foi : il a forgé un instrument idéologique universel. En mythifiant la figure du Christ et en érigeant la soumission en principe sacré, Paul a mis en place une construction théologique qui offrait à l’Empire lecadre idéologique nécessaire pour asseoir son autorité et légitimer sa domination mondiale ?

     

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    • Les premiers chrétiens s’appuyaient largement sur l’Ancien Testament. Jésus y était présenté comme l’accomplissement des prophéties d’Isaïe, de Jérémie ou encore des Psaumes.

      Cependant, dès le IIᵉ siècle, une tension apparaît. Certains chrétiens, comme Marcion, rejettent Yahvé, considéré comme un dieu inférieur, violent et incompatible avec le Père révélé par Jésus-Christ (les scribes falsifient). Marcion sera déclaré hérétique, mais son influence témoigne de la gêne qu’éprouvait déjà une partie du christianisme face au Dieu guerrier de la Bible.

      Pour l’Empire, ce qui importait à Constantin — qui finira par se tourner vers le christianisme arien qui rejette la Trinité — n’était pas de choisir entre le Yahvé vengeur et le Jésus compatissant, mais bien de trouver dans la foi chrétienne un facteur d’unification spirituelle pour un empire immense et traversé de divisions.

      L’Empire a en réalité retenu deux visages de Dieu :
      Celui deYahvé juge fort et intransigeant, dont la puissance servait à conforter l’autorité impériale. Celui de Jésus miséricordieux et du sauveur, capable de séduire et de rallier les foules.
      Cette dualité s’est cristallisée dans la théologie trinitaire (+ l’Esprit, présence divine au sein de l’Église et de l’Empire). Rome n’avait nul besoin d’un dieu guerrier supplémentaire : Mars, Mithra ou Jupiter Victor remplissaient déjà ce rôle. Ce que le christianisme apportait, en revanche, c’était la promesse d’une éternité et d’un ordre moral capables de transcender les querelles politiques.

      Le culte deMithra, introduit dans l’Empire au Ier siècle, s’était largement répandu parmi les militaires et les commerçants. Mithra, dieu solaire et vainqueur du taureau primordial, incarnait courage, loyauté et fraternité — des vertus parfaitement adaptées à l’esprit militaire. Le christianisme primitif s’est développé dans un monde saturé de cultes à mystères : Isis, Cybèle, Dionysos ou Mithra.

      Les parallèles entre mithriacisme et christianisme sont frappants : un dieu sauveur victorieux, un repas sacré partagé (pain et vin). Cela donne l’impression que les soldats romains jouèrent un rôle majeur dans ces transferts spirituels. Même si Yahvé, dieu ethnique d’Israël, ne leur était pas familier, la figure de Jésus fut rapidement assimilée au Père, et la perception de Yahvé comme “dieu vengeur et guerrier” (le Seigneur des armées) a pu venir légitimer et compléter les autres figures divines de la guerre : Mars, Mithra, Jupiter.

       
    • Cher @ÀQuel,

      Vous invoquez les « travaux de Bert Herman » (sic) pour soutenir que Paul aurait bâti une religion de soumission au service de l’Empire. Permettez une mise au point : il s’agit en réalité de Bart D. Ehrman, historien américain du christianisme ancien. Et contrairement à ce que vous avancez, Ehrman n’a jamais soutenu que Paul serait l’architecte d’une idéologie impériale.

      Ses travaux portent sur la transmission des textes, leur diversité et parfois leurs contradictions. Dans Paul : A Biography (2018), Ehrman souligne surtout que Paul fut un missionnaire passionné, convaincu que Dieu avait ressuscité Jésus et que ce message devait être annoncé à tous les peuples. Certes, il rappelle que Paul n’a pas connu Jésus « selon la chair » et que sa rencontre fut mystique. Mais jamais il ne réduit Paul à un « instrument de soumission politique ».

      Ehrman écrit par exemple : « Paul n’était pas un idéologue de l’ordre impérial ; il croyait que la fin du monde approchait et que seul le Christ ressuscité pouvait sauver. » (Paul : A Biography, p. 52). Ailleurs : « La vision de Paul n’était pas de renforcer Rome, mais d’annoncer un royaume où Christ serait Seigneur, et non César. » (How Jesus Became God, p. 118).

      Accuser Paul d’avoir inventé un « Christ abstrait » est tout aussi erroné. Ehrman insiste au contraire sur la radicalité de son expérience : « La résurrection de Jésus n’était pas pour Paul une métaphore mais un fait réel, garant que tous les croyants connaîtraient eux aussi la résurrection » (Resurrection of the Son of God, résumé dans ses cours).

      En réalité, votre présentation ressemble moins à une lecture d’Ehrman qu’à une reconstruction idéologique personnelle. Il est toujours possible de critiquer Paul — ses lettres en portent la trace —, mais encore faut-il le faire sur des bases sérieuses. Faire dire à Ehrman ce qu’il n’a jamais écrit, c’est non seulement tromper vos lecteurs, mais décrédibiliser votre propre argumentation.

      D’ailleurs, cette méthode n’a rien de nouveau : depuis les premiers siècles, les détracteurs de l’Évangile ont cherché à discréditer Pierre, Paul ou même Jésus lui-même, en déformant leurs paroles ou en leur prêtant des intentions qu’ils n’avaient pas. C’est une vieille technique : quand on ne peut réfuter le message, on tente de salir le messager.

       
    • Cher @ÀQuel,

      Vous invoquez les « travaux de Bert Herman » (sic) pour soutenir que Paul aurait bâti une religion de soumission au service de l’Empire. Il faut corriger : il s’agit de Bart D. Ehrman, historien américain du christianisme ancien. Et contrairement à ce que vous avancez, Ehrman n’a jamais écrit que Paul serait l’architecte d’une idéologie impériale.

      Ses recherches portent sur la transmission des textes, leurs divergences et leur réception. Dans Paul : A Biography (2018), il décrit Paul comme un missionnaire passionné, convaincu que Dieu avait ressuscité Jésus et que ce message devait être annoncé à tous. Paul n’était pas un idéologue de l’ordre romain : il proclamait un royaume où Christ est Seigneur, et non César. Sa mort par décapitation sous Néron montre assez que Rome n’y voyait pas un instrument docile.

      Sans nous écarter, Gamaliel, maître de Paul (Ac 22,3), la tradition juive et chrétienne le présente comme président du Sanhédrin, docteur de la Loi, parfois comparé à Moïse. Paul, formé à ses pieds, était destiné à lui succéder. On peut supposer que la démission de Gamaliel et les reliques associées à la Passion retrouvées dans sa sépulture sont à mettre en lien avec la visite à hauts risques que Paul fit à Jérusalem pour se présenter à son maître après sa rencontre bouleversante avec le Christ.

      Ajoutons que Paul n’a pas bondi du chemin de Damas à ses voyages missionnaires. Quatorze ans s’écoulèrent entre son expérience fondatrice et le début de sa mission (Ga 2,1). Dans cet intervalle, il rencontra Pierre : preuve qu’il ne se contentait pas d’une vision privée, mais cherchait la confirmation auprès de ceux qui avaient vécu avec Jésus. Un illuminé mythique ? Non. Un érudit devenu témoin, mûri par le temps et l’épreuve.

      Voilà pourquoi il est réducteur de transformer Paul en « architecte de soumission impériale ». La critique historique a toute sa place ; mais prêter à Paul des intentions qu’aucune source ne confirme, ou attribuer à Ehrman des thèses qu’il n’a jamais soutenues, c’est brouiller le débat plus qu’il ne l’éclaire. Depuis toujours, les opposants à une lecture directe et exigeante des Écritures préfèrent déplacer la discussion sur la figure des messagers. C’est une vieille technique : quand on ne veut pas affronter le contenu, on met en doute celui qui l’annonce.

       
    • Bonjour,
      Je me permets une précision : pensant que mon premier message n’avait pas été publié (peut-être suite à une erreur de manipulation de ma part), j’ai reformulé et envoyé une version plus complète. Il ne s’agit donc pas d’une redite, mais d’un texte enrichi. Merci de votre compréhension.
      Vincent

       
    • @Vincent,
      Puisque je précise m’appuyer sur les travaux de Bart Ehrman pour « lire » un phénomène qui me paraît évident, pourquoi chercher à trouver verbatim chez Ehrman ma manière d’exposer les choses ? Ne serait-il pas plus pertinent de répondre directement à mes arguments — voire de les réfuter — plutôt que de me renvoyer ce que vous avez retenu de ses travaux ?

      L’autorité comme volonté divine
      “Paul insists that Christians are to be subject to governing authorities, because all authority comes from God. Those who resist authority are resisting God’s appointment.”
      (The Triumph of Christianity, résumé de Romains 13).
      → Ici, Ehrman rappelle que Paul ne voit pas l’État comme une entité païenne illégitime mais comme un instrument de Dieu. Cette conception justifie l’obéissance et donc la soumission structurée au pouvoir en place.

      La répression légitime
      “For rulers are not a terror to good conduct, but to bad. […] If you do wrong, be afraid, for the authority does not bear the sword in vain ! It is the servant of God to execute wrath on the wrongdoer.”
      (paraphrase d’Ehrman citant Romains 13).
      → Ici, Ehrman souligne que Paul présente l’État comme instrument de châtiment divin. C’est donc une charpente idéologique où l’ordre civil est sanctifié.

      Voie à l’expansion impériale
      En légitimant l’autorité politique comme divine, Paul fournit une base idéologique qui peut être récupérée par un empire centralisé.

      Charpente idéologique
      L’universalité du salut (citations précédentes) +la sacralisation de l’autorité (Romains 13) = une religion structurée pour l’intégration et l’expansion.

      Et je pourrais en citer d’autres. Pensez, par exemple, à ces passages qui flattent çà et là le pouvoir impérial. Lorsque Jésus, soucieux de ne pas passer pour un zélote appelantà l’insurrection contre Rome, use de rhétorique et déclare qu’il faut « rendre à César ce qui est à César », il légitime en réalité l’autorité romaine. Il se défend habilement, sans doute, mais il n’en demeure pas moins qu’il adopte ici une position conforme aux intérêts de Rome — cequi tranche avec l’image et avec le contexte d’une Palestine mise sous pression.

      L’ironie, c’est que ce verset est encore aujourd’hui brandi par les laïcistes comme fondement de la séparation de l’Église et de l’État. Pourtant, avant 1905, je doute fort que les catholiques y aient vu la moindre apologie de la laïcité… Quant aux gouvernants, quelle lecture en faisaient-ils ?

       
    • C’est un débat d’ordre théologique, mais j’y réponds pour montrer qu’entre la foi de certains et l’analyse des textes par d’autres, il peut exister des divergences.



      Ajoutons que Paul n’a pas bondi du chemin de Damas à ses voyages missionnaires. Quatorze ans s’écoulèrent entre son expérience fondatrice et le début de sa mission (Ga 2,1). Dans cet intervalle, il rencontra Pierre : preuve qu’il ne se contentait pas d’une vision privée, mais cherchait la confirmation auprès de ceux qui avaient vécu avec Jésus. Un illuminé mythique ? Non. Un érudit devenu témoin, mûri par le temps et l’épreuve.



      Les récits de l’épiphanie de Paul divergent : durée de l’aveuglement, réaction de Paul, nature de la voix et rôle des compagnons varient selon les Actes et Galates. Les témoins eux-mêmes semblent raconter des versions contradictoires.

      Selon les sources bibliques, après sa conversion, Paul ne se rend pas immédiatement à Jérusalem pour rencontrer les apôtres choisis par Jésus. Il part d’abord trois ans enArabie, et ce n’est qu’au bout de six ans qu’il se rend à Jérusalem pour rencontrer uniquement l’apôtrePierre, avec qui il restera environ deux semaines. Il croise également Jacques le Juste, frère deJésus, et face à son autorité, il admet avoir fauté et accomplit des sacrifices expiatoires auTemple.

      Par ailleurs, Paul reconnaît adopter des stratégies “mensongères” pour propager « son »évangile. Il ira jusqu’àcirconcire de ses propres mains un chrétien juif, malgré sa position contre la circoncision. Vous parlez de « vision privée » et suggérez que Paul, ancien Pharisien persécuteur des disciples de Jésus, serait un érudit ? En réalité, en terme de savoir, Paul se présente avant tout comme un « prophète » ayant reçu une révélation directe. Il s’arc-boute sur le fait qu’il n’a reçu aucun enseignement des apôtres (!) et va jusqu’à les accuser de prêcher un faux évangile.Ce n’est pas un hasard si l’on parle de christianisme paulinien, tant son influence et sadoctrine façonnent la religion.
      Paul paraît annuler la Loi comme s’il s’agissait d’un épisode dépassé, mais enréalité il confirme l’ensemble de l’AncienTestament. Même lacirconcision deTimothee peut être interprétée comme le signe que l’Alliance conclue avec les Juifs demeure valable. Ils peuvent se convertir au christianisme tout en restant le peuple élu, porteur de toutes les promesses qui leur ont été faites. C’est en quelque sorte le christianisme sioniste !